1 Septembre 2005
II convient avant tout de brosser un tableau du contexte général dans lequel s'inscrit le projet de reconversion de la prison Saint-Michel[1], afin de poser les jalons de la compréhension des enjeux liés au site. Seront présentées successivement les évolutions qui ont touché le système pénitentiaire et qui conduisent aujourd'hui l'administration à restructurer son parc immobilier, puis un court historique du projet de reconversion de la prison Saint-Michel, suivi par la présentation de l'évolution récente de l'agglomération toulousaine et des choix politiques en matière culturelle, et enfin les tendances, en cours depuis maintenant plusieurs dizaines d'armées, au «recyclage» de friches urbaines, et qui s'expriment aujourd'hui à travers les principes de renouvellement urbain.
Les objectifs du gouvernement en matière pénitentiaire visent depuis plusieurs dizaines d'années la réhabilitation et la construction de nouveaux centres de détention, sur la base de plusieurs constats.
Un premier constat porte sur la vétusté du parc pénitentiaire : sur les 187 établissements qui existaient en Tan 2000 en France, 109 avaient été construits avant 1920, et parmi eux, 23 avaient été construits avant 1830 qui accueillaient encore environ 2.800 détenus[2]. Outre le fait que les conditions de confort minimal ont progressé depuis l'époque de leur construction, ces posons n'ont souvent pas bénéficié de l'entretien que leur ancienneté exigeait.
Cette vétusté est par ailleurs aggravée par un problème d'inflation carcérale. D'après Pierre V. Tournier, directeur de recherche au CNRS à l'Université de Paris 1, le nombre de détenus en France a doublé de 1975 à 1995 tandis que la population française n'augmentait que de 10 %[3]. A partir de 1996, cependant, le nombre de détenus i\ commencé à baisser» du fait d'une réduction des entrées en détention, et d'une stabilisation des durées de détention. De 52 658 détenus au 1er janvier 1996, la population carcérale passe à 44 618 au 1" janvier 2001, soit une baisse de 15%, sensible surtout entre 2000 et 2001. Mais l'augmentation reprend de plus belle depuis 2001, pour atteindre des records absolus : 64 813 détenus au premier juillet 2004[4], soit une augmentation de 175% depuis le 31 décembre 1980.
On parle également de surpopulation carcérale, au sens où les capacités d'accueil sont bien inférieures aux effectifs réels. Par exemple, au premier juillet 2004, les effectifs globaux de prisonniers étaient de 64 813 pour 49 595 places disponibles, soit un taux général d'occupation de 130%[5].
Le gouvernement a pris conscience de la nécessité d'appliquer de profondes réformes au système pénitentiaire lorsque, en 1974, de graves mutineries éclatent dans une quarantaine de prisons françaises, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. En 1975, on assouplit le régime carcéral : on crée notamment, en plus des maisons d'arrêt et des maisons centrales[6], des centres de détention, pour les détenus dont la réinsertion apparaît plus facile. En 1981, la peine de mort est abolie, et de 1981 à 1986 on améliore les conditions de vie des prisonniers par différentes mesures dont la suppression du costume pénal, et la suppression du travail obligatoire[7].
De plus, pour parer au double problème de surpopulation et de vétusté de son parc pénitentiaire, le ministère de la Justice se lance, en 1986, dans un vaste plan de modernisation : « le programme 13 000 ». Mis en place par le Garde des Sceaux de l'époque, Albin Chalandon, il avait pour ambition d'offrir des places de prison supplémentaires, grâce à la fermeture de trente établissements vétustés ou inadaptés et à la construction de quarante et un nouveaux établissements.
Entre 1989 et 1992, vingt-cinq nouveaux établissements ont été effectivement construits en métropole, augmentant les capacités d'accueil de 12 850 places supplémentaires. Ensuite, pendant les années 1990, huit établissements voient le jour à Lannemezan, Epinal, Brest, Strasbourg, Val-de-Reuil, Borgo, Lyon et Montpellier, suivis par quatre nouvelles constructions lancées entre 1996 et 1998 dans les départements d'outre-mer, trois établissements qui rouvrent après leur complète restructuration (les maisons d'arrêt d'Arras et de Nantes, et la maison centrale de Riom), et un établissement crée dans une ancienne caserne réhabilitée et modernisée à Montmédy[8].
La persistance de mauvaises conditions de détention aboutissent à la mise en place d'un second plan, défini par la loi de programme n° 95-9 du 6 janvier 1995. C'est le Garde des sceaux Pierre Méhaignerie qui instaure ce « programme 4 000 », qui prévoit la construction de six nouveaux établissements, dont fait partie la prison de Seysses, à Toulouse, cl concerne en outre les villes de Lille, Avignon, Meaux, Toulon et Liancourt[9].
Plus récemment, pour faire face à l'explosion de la population carcérale depuis 2001, la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002 a succède au « programme 4000 ». Elle prévoit l'attribution de moyens budgétaires pour la réalisation d'un programme pluriannuel de modernisation du parc immobilier et de construction de nouveaux établissements, en vue de fournir 13 200 places supplémentaires) dont 2 000 places répondant aux nouveaux principes pénitentiaires adaptés à la diversité de la population pénale adulte. A la fin de Tannée 2003, treize sites ont été annoncés publiquement sur les vingt prévus en métropole, en plus de sept établissements de soixante places prévus pour les mineurs[10].
Les exemples de réutilisation d'anciennes prisons sont légions, mais ils concernent la plupart du temps des prisons datant du Moyen-âge, auxquelles les vicissitudes de l'Histoire se sont chargées de trouver de nouvelles attributions. La plupart des prisons telles que nous les connaissons aujourd'hui proviennent d'un vaste mouvement de construction au XIXème siècle, sur la base de nouveaux principes de traitement des illégalismes. Les cas de reconversion de prisons datant du XIXème siècle sont beaucoup plus rares, car le gros du patrimoine est à l'heure actuelle encore utilisé par le ministère de la Justice[11]. Les quelques bâtiments relâchés l'ont été souvent du fait de leur vétusté.
Avec la mise en place des différents programmes, depuis les années 1980, un certain nombre de ces prisons se sont tout de même vidées de leurs prisonniers. Mais peu ont encore donné lieu à des réutilisations, et nous étudierons ces rares exemples dans le chapitre suivant. En règle générale, soit elles hébergent des prisonniers en semi-liberté comme la maison d'arrêt Saint-Michel[12], soit elles attendent leur vente, vides[13]. Quelques-unes unes, enfin, ont été détruites : les maisons d'arrêt de La Roquette à Paris, celles de Versailles et de Pontoise[14].
C'est donc dans le cadre d'un programme national de restructuration des équipements pénitentiaires que s'est inscrite la décision de remplacer la prison Saint-Michel Cette dernière était tout à la fois vétuste, mal entretenue et surpeuplée, et c'est l'urgence de sa dégradation qui a guidé sa désaffectation.
Achevée en 1870, la prison Saint-Michel proposait à cette époque un confort supérieur à celui de beaucoup d'habitations privées, du fait des normes hygiénistes qui avaient présidé sa construction[15] : chauffage par conduits d'air, ventilation, présence d'une infirmerie, d'ateliers, d'une chapelle et d'une salle pour le culte réformé, séparation des catégories de détenus pour éviter la « contagion morale ». Néanmoins les normes ont évidemment beaucoup évolué depuis cette époque, notamment en ce qui concerne l'accès à l'eau, aux douches, les réseaux d'électricité, etc. Par ailleurs, ces précautions hygiénistes ont souffert des problèmes de surpopulation qu'a connu Saint-Michel, notamment durant la période récente. Les cellules individuelles, par exemple, conçues pour ménager le retour sur soi des prisonniers et accélérer leur édification, abritaient en fait plusieurs prisonniers : au 1er janvier 2000, le taux d'occupation de la maison d'arrêt était de 163,4%, soit le quinzième rang en terme de surpeuplement des maisons d'arrêt[16]. Cette surpopulation a également eu des conséquences sur l'entretien du bâtiment lui-même, au niveau du chauffage, de l'humidité, etc. Il semblerait même que la dégradation du bâtiment se soit accélérée dès lors que la décision du transfert des prisonniers ait été connue, comme le spécifie le résumé de l'entretien entre la députée Mme Benayoun-Nakache et M. Rihar, directeur de la maison d'arrêt Saint-Michel, le 21 mars 2002, soit dix mois avant le transfert : « la situation de rétablissement devient de plus en plus difficile : il se dégrade de plus en plus vite, puisque les crédits d'entretien, du fait du transfert de propriété, ont été considérablement diminués. Bien que sur les 15 derniers mois, aucun accident grave n'a été relevé, la Maison d'Arrêt compte de plus en plus de détenus dangereux, qui sont autour d'une quarantaine. La surpopulation carcérale qui voit un établissement initialement prévu pour 290 places, héberger 460 personnes, parfois jusqu'à 510, qui plus est en plein centre-ville, amène des problèmes difficilement solubles, avec la multiplication des projections extérieures à la prison d'objets divers[17]. »
Enfin la prison n'a pas ou peu fait l'objet de travaux de réhabilitation, pas même depuis que le nouveau centre de Seysses l'a remplacée. L'aile qui était dans le meilleur état, l'ancienne aile des femmes, accueille aujourd'hui les prisonniers en semi-liberté[18], alors que le reste du bâtiment continue à se dégrader d'autant plus vite qu'il n'est plus habité.
La construction de la nouvelle prison a débuté en novembre 2000 sur la commune de Seysses, à proximité de Muret, à 19 kilomètres au sud de Toulouse. C'est Je premier établissement du « programme 4000 » à avoir été livré, le 31 octobre 2002, pour une mise en service le 26 janvier 2003.
Le centre pénitentiaire de Seysses, conçu pour accueillir 596 détenus, devait recevoir 550 prisonniers de la prison Saint-Michel II a pourtant très rapidement excédé ses capacités : d'après un article paru dans le journal local, « La Dépêche du Midi », plus de 900 personnes y étaient incarcérées en mai 2004, et plus de 800 au mois de juin 2005[19]. En effet, les effectifs de détenus dépendent de facteurs multiples et aléatoires, autant socio-économiques (récession économique, nombre de délits) que politiques (programme de répression de certains délits), ou juridiques (durée moyenne des peines et type de condamnations). Ils sont donc susceptibles de varier fortement d'une année sur l'autre (voire en l'espace de quelques mois), comme cela a été le cas à Seysses.
C'est pour cette raison que l'administration pénitentiaire a été amenée à conserver "vingt-six prisonniers en semi-liberté à l'intérieur de l'ancienne prison Saint-Michel, en attendant de construire un nouveau bâtiment pour les accueillir.
Par ailleurs, la localisation du nouveau centre pénitentiaire en périphérie éloignée de l'agglomération toulousaine est un sérieux inconvénient pour les visiteurs, d'autant plus lorsqu'il s'agit de populations à faible revenus. Le centre n'est en effet accessible qu'en bus (un passage toutes les vingt minutes en heure pleine) ou en voiture.
La prison de Seysses est donc loin de satisfaire toutes les attentes, ce qui n'est pas sans conséquences sur l'ancienne prison, qui se voit contrainte d'héberger les prisonniers pour lesquels il n'a pas été trouvé de place à Seysses, et qui est également utilisée comme lieu d'entraînement des ER1S. Ces Équipes Régionales d'Intervention et de Sécurité ont été constituées en 2003 en vue d'assurer la sécurité à l'intérieur des établissements pénitentiaires ainsi qu'au cours de transferts de détenus à haut risque.
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[1] L'expression "projet de reconversion de la prison" designe le plus souvent l'intention de: la mairie de réutiliser le site, et non le projet précis conçu par l'architecte en réponse à la demande municipale, sauf dans la quatrième partie du présent mémoire.
[2] cf Rapport du 29 juin 2000 de Guy-Pierre Cabanel à la commission d'enquête du Sénat, Prisons : une humiliation pour la République: tome 1.
[3] Pierre V, Tournier, "Prisons immuables", in Notre Justice. Soûlez Larivière D., Dalle H. Eds., Editions Robert Laffont, 2002, p3 14-328.
[4] Les effectifs comptabilisés au 1er juillet sont souvent supérieurs à ceux enregistrés au 3l décembre. Pour exemple, en 2004, ta différence était de 10% en 6 mois. Les données indiquées sur ta courbe proviennent du recensement au 31 décembre.
[5] Cf les chiffres clés de l'administration pénitentiaire 2004, document disponible sur internet.
[6] Les maisons d'arrêt accueillent des prévenus, en attente de leur jugement, et des condamnés à de courtes peines, et les maisons centrales accueillent des condamnés à l'emprisonnement correctionnel d'une durée supérieure à un an.
[7] Cf l'histoire de la justice sur le site internet du musée national des prisons de Fontainebleau.
[8]Cf rapport annuel d'activité de l'administration pénitentiaire (2000).
[9]Rapport annexe de la loi n°95-9 du 6 janvier 1995.
[10] Cf rapport d'activités 2003 du ministère de la justice.
[11] Les prisons d'Agen, Angers, Arras, Auxerre, Béthune, Bourges, Caen Rennes, etc... accueillent encore des prévenus. Informations communiquées par C. Prade, conservateur au Musée National des Prisons de Fontainebleau.
[12] La maison d'arrêt Sainte-Anne à Avignon, les maisons d'arrêt de M eaux et de Toulon, toutes trois concernées par le « programme 4 000 » comme Toulouse, sont dans ce cas de figure.
[13] La prison de Grasse, par exemple, construite entre 1841 et 1843, abritait la maison d'arrêt et le Palais de Justice. La première s'est retirée en 1992, et le second en 1999.
[14] Informations communiquées par C. Prade, conservateur au Musée National des Prisons de Fontainebleau.
[15] Cf recueil de documents de l'association des riverains de la maison d'arrêt Saint-Michel, article d'O. Foucault., « Patrimoine à vendre », p 308.
[16] Op. cit., rapport d'activité 2003, Ministère de la Justice.
[17] Cf lettre de Mme Benayoun-Nakache à M. Biquet, président de l'association des riverains de la maison d'arrêt Saint-Michel, dans le recueil de documents de l'association,
[18] Un prisonnier en semi-liberté a la possibilité d'exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement ou de bénéficier d'un traitement médical en dehors de l'établissement pénitentiaire, pour une durée déterminée (souvent la journée) à l'issue de laquelle il doit retourner au centre pénitentiaire, in "glossaire de la justice", site Internet du Ministère de la Justice,
[19] La Dépêche du Midi, art. du 17 juin 2005
Lire la suite : B. LE PROJET DE RECONVERSION DE LA PRISON SAINT MICHEL; HISTORIQUE.