3 Septembre 2005
L'association des « riverains de la maison d'arrêt Saint-Michel », dont les membres actifs résident tous à proximité immédiate de la prison, s'était constituée à l'origine pour défendre le cadre de vie habité autour de la prison. C'est elle qui, profitant de l'annonce de la construction d'un nouveau centre pénitentiaire à Seysses en 2000, demanda en premier lieu la conservation de la maison d'arrêt. Ils souhaitaient, avec l'association d'anciens combattants ANACR[1], que soit préservé le lien de mémoire situé à l'intérieur de la cour de l'administration» poteau d'exécution sur lequel de fameux résistants de la seconde, guerre mondiale furent fusillés.
Afin de proposer un projet construit à la municipalité, ils procédèrent à un sondage parmi les riverains de la prison, afin de déterminer plus précisément les attentes des habitants du quartier[2]. Ils firent également appel à Odile Foucault, une historienne de l'art qui a réalisé sa thèse de doctorat sur l'architecte de la prison, Jean-Jacques Esquié. Celle-ci présenta l'intérêt architectural et historique de la conservation des bâtiments de la prison lors d'une réunion en 2001 avec le maire de l'époque, Philippe Douste-Blazy. Avec l'association, elle demandait la création d’ « espaces verts, et d'un lieu de rencontre et de vie[3]», n remplacement de In maison d'arrêt. I-a mairie fut séduite par les nombreuses opportunités qu'offrait le site, et y vit l'occasion de réaliser « un équipement culturel de grande envergure[4] ».
La mairie s'est alors portée acquéreuse auprès du Ministère de la Justice, qui ne peut néanmoins se délester des bâtiments, car ils lui servent encore, comme on l'a vu, en attendant qu'un centre d'accueil des prisonniers en semi-liberté soit construit. De nombreuses rumeurs circulent depuis 2002 sur le devenir de la prison, dont font état les courriers successifs de l'association, notamment à propos d'éventuelles opérations immobilières sur le site. En réaction, une pétition circule au mois de juin 2002, auprès des riverains et de l'AFHA (Association Française des Historiens de l'Architecture), qui demande « la protection de la totalité des bâtiments de la maison d'arrêt qui représentent une valeur patrimoniale, architecturale et un lieu de mémoire », ainsi que la restauration « dans un cadre ouvert (jardin) adapté à des lieux de vie sociaux, économiques et culturels correspondant à la demande de la population du quartier (bibliothèque, salle de quartier, centre socio-culturel, halte-garderie, annexe de mairie, site sportif, maison de personnes âgées.,.) [5]».
Le délai suscité par le maintien de la propriété à l'Etat a laissé le champ libre à de multiples projets de reprise. Les intentions de la mairie ayant été dès le début d'y implanter un centre culturel, de nombreuses propositions ont porté sur ce thème : création d'une « villa médias », d'un centre des arts, d'un centre de rencontre des cultures méditerranéennes dont le quartier serait représentatif, etc., qui émanaient souvent d'habitants ou de commerçants du quartier.
Cependant aucun de ces projets n'a satisfait les ambitions de la mairie, qui souhaitait y implanter un pôle culturel d'envergure européenne, offrant l'avantage de pouvoir solliciter des crédits européens en vue de Tachât et de la réhabilitation des bâtiments. Elle a donc fait appel en 2003, pour la définition de son projet, à Richard Edwards, qui rassemble les casquettes d'éditeur et de professeur, et se définit lui-même comme « concepteur et réalisateur de projets culturels ». Celui-ci a proposé l'implantation d'un centre de production d'œuvres issues de la collaboration entre des artistes et des ingénieurs. L'originalité et le professionnalisme du projet ont suscité l'intérêt des élus locaux, qui ont confié tout récemment, au mois de juin 2005, une nouvelle mission à R, Edwards, en lui demandant de préciser ses propositions.
Pour autant, aucune décision officielle n'est encore venue entériner les propositions de ce professionnel, et la situation est aujourd'hui en attente. D'après les prévisions les plus Optimistes, un projet de reconversion ne pourrait être mis en place avant 2012, autrement dit après la construction d'un centre d'accueil des semi-libertés, la rétrocession, le passage d'appels d'offres pour la réhabilitation de la prison et les travaux. Si certains acteurs s'en satisfont, comme les riverains qui apprécient un cadre de vie plus tranquille, d'autres, comme les commerçants, s'estiment lésés par un délai inadapté à leur activité.
Avec 964 797 habitants en 1999[6], l’aire urbaine[7] toulousaine est la quatrième agglomération française du point de vue de sa population.
Cette position s'appuie sur une croissance démographique soutenue depuis les années 1980, qui la place en première position des métropoles françaises en terme de dynamisme démographique. Elle a en effet gagné plus de 120 000 habitants durant la décennie 1990.
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Sources : INSEE
D'après les données statistiques de l'INSEE, la métropole qui arrive en seconde place du point de vue de sa croissance, Nantes, subit une augmentation de « seulement » 0,73% et 1,05% de sa population sur les périodes 1982-1990 et 1990-1999, tandis que les autres métropoles n'atteignent pas 1% d'augmentation de leur population.
Cette croissance ne s'est pas démentie sur la période récente : si l'aire urbaine de Toulouse accueillait plus de 10 000 nouveaux arrivants par an il y a cinq ans, elle en reçoit plus de 15 000 aujourd'hui, voire plus de 18 000[8].
Le principal facteur de cette croissance est en effet le solde migratoire positif, qui atteint 1,2% sur la période 1982 1990 et 1% sur la période 1990-1999[9]. Il y a plusieurs raisons à l'attractivité de l'agglomération toulousaine, mais un facteur non négligeable réside dans le développement des différents pôles d'emploi : l'industrie aéronautique, représentée par des sociétés comme Airbus, Latécoère, Labinal, Astrium ou Alcatel Space, emploient environ 36 000 personnes, dont le tiers sont rattachées à Airbus et à ses entreprises de sous-traitance. Le secteur est d'ailleurs en bonne santé économique, avec l'assemblage de l'A3HO sur le site "Aéroconstellation" de 260 hectares à Blagnac, qui doit créer 2 000 postes d'ici 2008. D’autres pôles d'emploi attractifs existent dans les domaines de l'électronique et des biotechnologies, malgré un taux de chômage de 14% sur l'aire urbaine,
Les conséquences les plus visibles de cette croissance soutenue sur la forme urbaine toulousaine consistent en un étalement pavillonnaire sur les communes périphériques. Ce contexte confère aux thématiques de renouvellement urbain une acuité particulière dans l'agglomération toulousaine.
Le projet de reconversion de la maison d'arrêt Saint-Michel est orienté vers l'implantation d'une infrastructure culturelle. Outre que de nombreux bâtiments délaissés trouvent dans la fonction culturelle une destination privilégiée, le développement culturel fait partie des stratégies municipales de développement toulousain.
En effet de nombreuses manifestations de cet Ordre sont organisées à Toulouse qui compte une douzaine de festivals, dont Rio Loco, Piano aux Jacobins, Racine, le Marathon des Mots, le Printemps de Septembre, etc. Le musée d'art contemporain qui occupe les anciens abattoirs de la ville depuis 2000, ou encore la nouvelle médiathèque qui prend place dans le quartier Marengo, au cœur du pôle actuel de développement de la ville, sont autant de reflets des ambitions toulousaines en terme de promotion de la culture et de l'art,
« Rayonner et afficher sa dimension internationale[10] »s d'après les mots de Marie Déqué, adjointe au maire chargée des affaires culturelles, est également une des caractéristiques de cette politique culturelle. Toulouse se porte d'ailleurs candidate au titre de capitale européenne de la culture en 2013, et la mairie souhaiterait que le projet de reconversion de la prison soit le « vaisseau amiral » de cette candidature. La désignation européenne doit cependant intervenir en 2008, date avant laquelle le projet devra donc être arrêté.
Pour autant, la politique officielle menée par la mairie fait également l'objet de critiques : sur les 100 millions d'euros que représente la culture dans le budget municipal, seuls 2 à 3% sont consacrés à la création, le reste étant allégué au fonctionnement des infrastructures. L'opposition politique et des groupes associatifs déplorent ainsi que les subventions soient allouées à des projets phares comme les festivals, dont le contenu ne table pas sur la qualité ou sur l'innovation, plutôt qu'à des initiatives plus locales, et moins rentables.
Le numéro 97 des annales de la recherche urbaine[11] rappelle les grandes étapes de la réutilisation des espaces urbains en France, à partir de ce qu'on a appelé la "rénovation urbaine" durant les années 1960, qui consistait pour l'essentiel en des opérations de démolitions-reconstructions de quartiers anciens des villes ou de secteurs dégradés comme les friches industrielles. Les limites de ces types d'opérations sont apparues avec la critique des modèles dont ils s'inspiraient, principalement les idées de « table rase » du courant
moderniste et de la Charte d'Athènes. La prérogative des opérations d'aménagement des quartiers est passée sous la responsabilité des collectivités locales avec la loi de décentralisation du 7 janvier 1983. Petit à petit, une plus grande attention a été portée à l'histoire des lieux, et aux pratiques sociales qu'ils induisent. Le terme de « renouvellement urbain » est apparu plus récemment, pour désigner principalement les politiques dont faisaient l'objet les quartiers d'habitat dégradés (habitat social et copropriétés).
Il est intéressant de montrer au passage les différentes catégories de sites qui ont fait l'objet de ces politiques successives, au gré des restructurations respectives des administrations ou des activités : les friches industrielles durant les années 1970 ; les friches portuaires pendant les années 1980 ; les infrastructures militaires durant les années 1990. A la lumière de cette chronologie, il est tentant aujourd'hui de considérer qu'une nouvelle débute avec la réutilisation des prisons, à la lumière des constatations faites précédemment sur les restructurations en cours de l'administration pénitentiaire[12]
Le terme de « renouvellement urbain » fait l'objet d'une certaine ambivalence, selon qu'il est pris dans un sens restreint, conformément à sa signification juridique, ou qu'il est compris dans un yens plus large, en considération des pratiques actuelles de gestion urbaine,
2.1 Le renouvellement urbain dans la législation française
C'est la loi "Solidarité et Renouvellement Urbain du 13 décembre 2000" qui introduit l'expression « renouvellement urbain » dans la législation française, mais sans la définir de manière précise. Les objectifs de la loi visent à renforcer la cohérence des politiques urbaines et territoriales, conforter la politique de la ville, mettre en œuvre une politique de déplacements au service du développement durable, et assurer une offre d'habitat diversifiée et de qualité[13]. La loi limite ainsi la notion de renouvellement urbain à des opérations de redressement de quartiers d'habitat dégradé, dans le cadre des « politiques de la ville ».
L'expression peut être comprise dans un sens plus large dans l'article L.300-1 du Code de l'urbanisme, à propos de l'aménagement foncier, qui définit les opérations d'aménagement des collectivités locales comme ayant notamment "pour objet de [...] permettre le renouvellement urbain". Avec cet article, le renouvellement urbain est affirmé dans la loi française comme un enjeu majeur de la gestion des villes.
Mais que recouvre-t-il exactement ? La presse spécialisée accorde elle aussi une large acception au terme. Sous l'expression "renouvellement urbain", réside l'idée d'une reconstruction sur l'existant, qui prendrait la forme d'un "recyclage" du patrimoine bâti des villes, qu'il s'agisse de zones d'habitat dégradées dont il faut reconstituer le cadre de vie, ou de zones désaffectées comme « les zones minières et sidérurgiques, les chantiers navals, rindustrie textile, les sociétés délocalisées, les industries de l'armement et les sites militaires déclassés33 » auxquelles il convient de trouver de nouveaux usages. Si les types d'actions diffèrent bien souvent, l'idée commune majeure réside dans la revalorisation d'un espace dont les fonctions antérieures se sont dégradées ou ont disparues, et qui peut passer par un renouvellement de la forme.
L'élargissement des considérations liées au renouvellement urbain doit être mis en parallèle avec le développement du concept de développement durable, qui popularise à partir de 1992 (Convention de Rio) les principes d'un développement maîtrisé des activités humaines, dont celles générées par le milieu urbain. Trois grandes orientations apparaissent ainsi au fondement des pratiques de renouvellement urbain :
S'agissant de savoir si le cas de la reconversion de la prison Saint-Michel fait partie de ce qu'on pourrait appeler une « action de renouvellement urbain », il convient de préciser encore notre définition.
On peut considérer qu'un projet de renouvellement urbain se caractérise par son échelle : il doit avoir l'ambition d'an projet politique cohérent, porté par une multiplicité
d'acteurs coordonnés. Qu'il s'agisse de zones d'habitat dégradées ou de quartiers d'activités dévitalisés, le renouvellement urbain suppose de travailler à une échelle large et surtout articulée et cohérente, comme c'est le cas lors de la mise en place d'une ORU (opération de renouvellement urbain), d'un GPV (grand projet de ville) ou d'une ZAC (zone d'aménagement concerté).
Si opération de renouvellement urbain il y a dans le cas de la maison d'arrêt Saint-Michel, celle-ci se mesurera d'une part à l'échelle des ambitions qui porteront sur l'aménagement du site, et d'autre part aux moyens qui seront investis pour la réalisation d'un projet articulé et global. Les ambitions affichées à l'heure actuelle par la maîtrise d'ouvrage semblent rassurantes sur le premier point, mais l'assurance de la prise en compte des dimensions multiples qu'engendré la réutilisation d'un tel site[14] ne pourra Être vérifiée qu'au fur et à mesure de la mise en œuvre du projet.
Cette présentation permet déjà de montrer que la libération de la prison Saint-Michel à Toulouse se situe parmi les premières expériences de réutilisations pénitentiaires, et qu'elle ouvre très vraisemblablement un vaste processus futur de reprise de prisons, ce qui lui confère une valeur d'exemple non négligeable.
Lire la suite: Deuxième partie - les potentialités du site.
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[1] Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistante.
[2] Les résultats des questionnaires distribués, ainsi que la totalité du dossier constitué pur l'association sont joints en annexe.
[3] Cf lettre du 12 janvier 2002 de Louis Ambid, trésorier de l'association, au Maire de Toulouse M. Douste-Blazy.
[4] Cl réponse de M, Douste-Blazy du 15 février 2002,
[5] Cf dossier de l'association des riverains de lu maison d'arrêt Saint-Michel.
[6] Population sans double compte, recensement de l’INSEE.
[7] L'aire urbaine de Toulouse, au sens de l'INSEE, recouvre le pôle urbain (Toulouse et sa banlieue, soit 741 120 habitants sur 58 communes), plus la couronne périurbaine soit 197 communes et 119 939 habitants supplémentaires.
[8] Données fournies par l'Agence d'Urbanisme de l'Agglomération Toulousaine.
[9] INSEE, recensements de la population.
[10] Site internet de l'école de journalisme de Toulouse, journal Trajectoires, éd. fév 2005, art, "Festivals en vitrine",
[11] Les annales de la recherche urbaine, éd. décembre 2004.
[12] Remarquons que si les restructurations des années 1.970-80 concernaient en majorité des groupes privés (industries automobiles, entreprises sidérurgiques...), c'est aujourd'hui l'Etat au travers de ses administrations qui est concerné au premier chef par les reconversions de ses sites, et qui devient l'acteur principal avec lequel il faut compter.
[13] Loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain ; têtes de chapitre.
[14] Reconstruire la ville sur lu ville, publications de l'ADBF, 1998. P10 .