13 Février 2014
L’avenir de l’ex-prison Saint-Michel, au cœur de Toulouse, alimente les controverses
Faut-il raser la prison Saint-Michel comme le peuple prit jadis la Bastille, ainsi que le suggère le poète toulousain Serge Pey ? Officiellement désaffectée depuis 2009, l'ancienne maison d'arrêt, construite au XIXe siècle, figure sur la liste des biens nationaux mis en vente par l'Etat pour renflouer son budget.
Opposé à la vision radicale du poète, le comité de quartier réclame en vain le classement de ce curieux monument – en forme d'étoile à cinq branches – et ses verrières, conçus par l'architecte Jacques-Jean Esquié, sur le modèle des établissements pénitentiaires américains. « Un chef-d'œuvre de fonctionnalisme architectural philadelphien », selon l'historienne Odile Foucaud, qui a consacré sa thèse à l'architecte toulousain.
Pressé par le préfet, l'opposition et les riverains d'acquérir l'encombrant symbole pénitentiaire de l'avenue Saint-Michel, Pierre Cohen, élu maire de Toulouse en 2008, a vite écarté le projet d'une résidence d'artistes rêvée par Philippe Douste-Blazy – maire de 2001 à 2004 –, dans le cadre de la candidature avortée de Toulouse au titre de capitale européenne de la culture. L'ex-garde des sceaux, Rachida Dati, avait alors promis de céder la prison à son collègue devenu ministre de la santé en mars 2004, pour la somme de 750 000 euros.
Depuis, les prix ont grimpé et l'Etat en veut près de 11 millions d'euros, une somme que M. Cohen juge excessive pour un bâtiment vétuste, recyclé provisoirement en terrain de manœuvre du GIGN et des commandos d'élite de l'administration pénitentiaire. « On souhaite acquérir ce site à un prix accessible pour y installer un projet qui préserve l'architecture du lieu et soit ouvert sur le quartier », résume le maire.
Cachée derrière les murs d'une enceinte de 2 hectares, la parcelle est idéalement placée à la sortie d'une station de métro. Elle excite l'appétit des promoteurs immobiliers. Les services de la ville estiment qu'il faudrait au moins 40 millions d'euros pour remettre le bâtiment en état. Mais pour en faire quoi ? La question hante à nouveau la campagne municipale.
Christine de Veyrac, ancienne adjointe de M. Douste-Blazy, voudrait y installer des artisans d'art. Un collectif d'associations régionalistes milite pour un « centre international de culture occitane, latine et méditerranéenne ». Le candidat UMP Jean-Luc Moudenc promet d'y installer un grand équipement en lien avec « l'identité toulousaine », « pourquoi pas un auditorium », suggère-t-il.
Prudent, le maire a signé pour 1 euro symbolique une convention avec le préfet pour occuper le « Castillet », curieuse réplique d'un château fort en briques marquant l'entrée de la prison. Cette petite partie du site, inscrite à l'inventaire des Monuments historiques, devrait accueillir des locaux pour les associations du quartier et les anciens combattants, qui souhaitent y célébrer la mémoire des résistants exécutés dans la prison – où fut détenu André Malraux – quelques jours avant la libération de Toulouse.
Pour l'ex-prison proprement dite, M. Cohen ne désespère pas de convaincre le nouveau président de la chambre de commerce, Alain di Crescenzo, d'y fusionner l'école supérieure de commerce et le campus consacré à la formation des apprentis, construit par ses prédécesseurs à l'extérieur de la ville.
Pour l'heure, M. di Crescenzo a préféré jeter l'éponge devant le coût de cette opération immobilière, qu'il évalue à 80 millions d'euros. A la suite de la visite du président de la République, le 9 janvier, le maire a demandé au ministre du budget une « décote » similaire à celle obtenue pour la vente d'anciens terrains militaires reconvertis en logements sociaux.
Stéphane Thépot (Toulouse, correspondance)
Journaliste au Monde